Une exposition qui vaut surtout par les explications données par Bernard Frize pour chaque tableau exposé. Il indique de manière très simple et directe comment il a réalisé le tableau.
Ci-aprés l’interview de Bernard Frize par Angela Lampe, c’est beaucoup plus cérébral tout çà coup !
Entretien avec l’artiste
Revenons à vos débuts. Après une pause, vous avez repris vos activités en 1977, en couvrant simplement la trame de la toile par des traits colorés horizontaux et verticaux, de manière mécanique. Est-ce qu’on peut qualifier cette série d’activité absurde ou de reflet de l’absurdité du monde ?
Bernard Frize ‑ C’était en effet idiot de faire cela. Cela n’avait pas vraiment de sens, mais au lieu de décrire un monde sans raison, j’ai décrit un monde dont on cherche la raison. C’est pour cela que je l’ai fait comme un moine qui s’applique à répéter les traits horizontaux et verticaux, parce que cette activité m’a permis de chercher la raison pour laquelle je le faisais.
Ce qui est important c’est donc l’accomplissement de la tâche et non la signification ?
BF ‑ Tout à fait. Je me vois plus du côté de Lewis Carroll que du côté de l’absurdité totale d’Albert Camus. C’est sûr qu’il y a du Sisyphe dedans, malgré tout. J’aime prendre les choses tellement au pied de la lettre qu’elles s’ouvrent sur une manière de voir différente.
Est-ce qu’on peut dire que vous cherchez à vous débarrasser de la question du sens ?
BF ‑ Non, je ne le pense pas. Je cherche plutôt continuellement du sens, et le sens n’arrive pas. Je pense que c’est pour cela qu’il y a autant de formes différentes dans mon travail. Je ne répète pas la même chose, mais cherche des entrées différentes. J’établis des contraintes pour ne pas choisir et pouvoir continuer.
La pensée oulipienne était importante pour vous ?
BF ‑ Je ne sais pas. À mes débuts, je lisais beaucoup Ludwig Wittgenstein et Lewis Carroll, mais j’étais pris dans mon époque. L’OuLiPo est un bon outil pour aborder mon travail, mais lorsque j’ai réalisé les choses, je n’ai pas réfléchi à la question, c’était intuitif. (…)
La structure de l’exposition est conçue sur les paradoxes de votre travail. Nous venons de parler de votre façon de recourir pour vos tableaux aux systèmes, mais en même temps, on a l’impression que vous visez leur effondrement à l’aide d’effets aléatoires. Quel rôle joue le hasard dans votre démarche ?
BF ‑ Les systèmes donnent quelquefois un résultat absurde qui est le fruit du hasard. La réalité détruit finalement le système comme dans Quelques causes accidentelles et d’autres causes naturelles, Emir ou Drexel, Burnham & Lambert. Mon travail fixe des conditions dans lesquelles le hasard pourra intervenir. (…)
Est-ce que vous cherchez à apprivoiser le hasard, à le maîtriser en lui donnant une forme, en le mettant à votre service ? Comment l’utilisez-vous ? Est-ce que le hasard est pour vous un agent destructeur ou un élément libérateur ?
BF ‑ Au début, le hasard intervient par… hasard (rires). Ensuite, j’essaie de l’apprivoiser et de m’en servir. Cela dépend donc à quelle étape j’en suis. Comme je travaille beaucoup par séries, le hasard me sert aussi à sortir de la série pour trouver un autre angle.
Donc il libère ?
BF ‑ Oui, il me sert à sortir du système dans lequel, parfois, je l’apprivoise.
Encore une démarche paradoxale.
BF ‑ Oui, c’est ça, à chaque fois (rires). (…)
Un autre aspect de votre maîtrise technique est pour moi votre traitement de la surface. Le recours à la résine acrylique lui confère un aspect glacé, lisse, presque ciré, une surface qui semble comme encapsulée, comme inatteignable. On a l’impression que la peinture n’est plus accessible. Est-ce que votre peinture est mélancolique ?
BF ‑ Je ne sais pas. Contrairement à la peinture américaine ou à un art qui devient de plus en plus immersif, j’ai toujours voulu faire une peinture qui est loyale dans ses moyens et loyale vis-à-vis du spectateur qui ne doit pas se sentir dominé par mes toiles. Il peut les considérer d’homme à homme. Elles ne sont pas écrasantes, ni immersives. Pour cela, j’ai voulu sceller la peinture dans une matière quasi photographique. Je tenais à ce que ma peinture soit très lointaine.
Vous créez une distance.
BF ‑ Oui, c’est une manière d’être loyal vis-à-vis de celui qui regarde. Je respecte la personne en face qui a tous les outils et toutes les armes pour me contredire ou adhérer. (…)
L’importance de la ligne continue implique aussi un acte performatif, une peinture sans repentir. Vous avez admis jeter les œuvres ratées. Vous ne trichez pas. Pourrait-on parler d’une éthique de travail, voire d’une peinture éthique, transparente et lisible, réalisée avec des moyens honnêtes ?
BF ‑ Oui, pour moi ce sont des conditions indispensables de mon activité. Je ne suis pas Houdini, je ne suis pas un illusionniste, je ne fais pas de magie, mais des choses totalement réalistes.
Quand est-ce que vous jugez qu’une série est terminée ou épuisée, ou faut-il dire morte ?
BF ‑ Quand elle ne génère plus d’autres idées. En général, j’arrête une série quand elle m’a amené à une nouvelle idée et je la reprends quand j’ai le sentiment qu’elle peut encore m’amener ailleurs, qu’elle n’est pas finie.
Propos recueillis par Angela Lampe, conservatrice, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, Commissaire de l’exposition
In Code couleur n°34, mai-août 2019, p. 12-15.
An exhibition that is especially worth the explanations given by Bernard Frize for each painting on display. It shows in a very simple and direct way how he created the painting.
Here is the interview of Bernard Frize by Angela Lampe, it’s a lot more cerebral here!
Let’s start at the beginning. After a break, you resumed your activities in 1977 by simply covering the framework of the canvas, as if mechanically, with coloured horizontal and vertical strokes. Could this series be described as an absurd activity or a reflection of the absurdity of the world?
Bernard Frize – It was indeed a silly thing to do. It didn’t really have any meaning, but instead of describing a world without reason, I described a world we are searching for a reason for. That’s why I set to the task like a monk who applies himself to repeating horizontal and vertical strokes, because this activity enabled me to seek the reason why I was doing it.
So the important thing is to accomplish the task, not its meaning?
BF – Exactly. I see myself more in the tradition of Lewis Carroll than in the total absurdity of Albert Camus. But, of course, it’s Sisyphean in spite of everything. I like to take things so literally that they open up a different way of seeing things.
Could it be said that you are trying to get rid of the question of meaning?
BF – No, I don’t think so. It’s more that I’m continually looking for meaning, and the meaning doesn’t come. I think that’s why there are so many different forms in my work. I’m not repeating the same thing, but looking for different ways in. I establish constraints in order not to have to choose and to be able to continue.
Was Oulipian thought important for you?
BF – I don’t know. In the beginning, I used to read a lot of Ludwig Wittgenstein and Lewis Carroll, but I was trapped in that period. OuLiPo is a good tool for approaching my work but I wasn’t thinking about that when I made things, it was instinctive. (…)
The structure of the exhibition is designed around the paradoxes in your work. We have just discussed your way of having recourse to systems in your paintings but at the same time, we get the impression that you seek to break them down with random effects. What role does chance play in your approach?
BF – Systems sometimes provide an absurd result that is the fruit of chance. Reality finally destroys the system as in Quelques causes accidentelles et d’autres causes naturelles, Emir or Drexel, Burnham & Lambert. My work sets the conditions in which chance can play a role. (…)
Do you try to tame chance, to master it by giving it form, getting it to work for you? How do you use it? Is chance a destructive agent or a liberating element for you?
BF – In the beginning, chance plays a role… by chance (laughs). Then I try to tame it and use it. So it depends what stage I’m at.
Given that I work a lot in series, chance also allows me to step back from the series, to find another angle.
So it frees you?
BF – Yes, it enables me to break free from the system in which I sometimes tame it.
Yet another paradoxical approach.
BF – Yes, that’s right, every time (laughs). (…)
For me, treatment of the surface is another aspect of technical mastery. The use of acrylic resin produces a glazed, smooth, almost waxed aspect, a surface that seems to be encapsulated, as if unattainable. We get the impression the painting is no longer accessible.
Is your painting melancholic?
BF – I don’t know. Unlike American painting or art that becomes increasingly immersive, I have always wanted to make paintings that are loyal in terms of means and loyal with regard to the viewers, who should not feel subordinated by my canvases. They can look on them as equals. They’re not crushing or immersive. That’s why I wanted to seal off my paintings in a semi-photographic material. I wanted my painting to be very distant.
You create a distance.
BF – Yes, it’s a way of being loyal with regard to the viewer. I respect the person before me who has all the tools and weapons to either contradict me or agree with me. (…)
The importance of the unbroken line also implies performance, painting without remorse. You have admitted to throwing away failed works. You don’t cheat. Could we speak of a work ethic, even ethical painting that is transparent and legible, made with honest means?
BF – Yes, for me these are the indispensable conditions of my work. I’m not Houdini, I’m not an illusionist. I don’t do magic, only fully realistic things.
When do you decide that a series is finished or exhausted, or should we say dead?
BF – When it no longer generates other ideas. Generally speaking, I stop a series when it has brought me to a new idea and I return to it when I feel that it can still take me elsewhere, that it’s not finished.
Interviewed by Angela Lampe, curator, Musée National d’Art Moderne, Centre Pompidou, exhibition curator
In Code couleur n°34, may-august 2019, p. 12-15
Bonjour,
Je travaille pour la Galerie Barnoud – Entrepôt 9, qui est missionnée par Géotec pour prendre en charge sa collection d’entreprise, comprenant notamment une peinture monumentale de Bernard Frize. J’aimerais savoir où vous avez trouvé cette image de pinceau peint et si c’est bien Bernard Frize qui tient ce pinceau.
Bien à vous,
Siloé PÉTILLAT
Galerie Barnoud – Entrepôt 9